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Le modèle des pays nordiques est-il applicable en France? : retour sur la rencontre avec Alain Lefebvre, pour la sortie de son livre “Macron le Suédois”.

Le 4 avril 2019, la Chambre de Commerce Française à Stockholm et l’Ambassade de France en Suède ont co-organisé une rencontre avec Alain Lefebvre, auteur du livre récemment publié “Macron le Suédois”, à l’Université de Stockholm. Il était accompagné de Per Bolander, Laila Abdallah et Samuel Engblom, 3 spécialistes de la politique Suédoise, qui ont durant 2 heures discuté avec lui des similarités entre les systèmes français et suédois. Les discussions furent animées par Eric Trottmann, conseiller aux affaires sociales, de la santé et de l'emploi à l'ambassade de France.

L'idée d'écrire ce livre est venue à Alain Lefebvre lorsqu'il a entendu E.Macron parler à la radio française du fait que le modèle scandinave était une source d’inspiration. "J'ai aussitôt pensé que c'était un suicide !". En effet, la façon dont les français font référence au modèle nordique n'a parfois rien à voir avec la réalité dans les pays concernés. L'auteur a ensuite présenté rapidement l'ensemble des réformes d'E.Macron inspirées du modèle nordique.

  • Moralisation de la vie publique: il y a eu une volonté d'engagement vers la transparence à la suédoise, mais au final rien n’a vraiment été adopté. L’opacité qui entoure la sphère politique française fait qu’il y a peu de confiance envers le système.

  • Réforme du marché du travail: on a pensé à un rapprochement avec le concept de flexisécurité (dispositif social visant à faciliter les licenciements tout en augmentant les indemnités). Mais le contexte demeure extrêmement différent entre les deux pays notamment au niveau de la relation patronat-syndicats. Il n’est pas aussi facile de licencier qu’on le croit en Suède.

  • Réforme des prisons: voulant initialement construire plus de prisons, E.Macron s'est finalement inspiré de la Suède en améliorant la préparation de la sortie des prisonniers afin de diminuer le taux de récidive. Ce dernier est deux fois plus élevé en France que dans les pays nordiques.

Alain Lefebvre a aussi évoqué la réforme ferroviaire qui illustre la volonté d’aller faire plus de privatisation, ou encore la réforme des retraites et la taxe carbone. “En conclusion, E Macron a un peu de ce travers de penser qu'il existe un modèle nordique, or il y a autant de pays que de modèles en réalité, soit 5 !”.

"Ce que Macron a de plus nordique, c'est son pragmatisme. Il est capable de dire je me suis trompé, je vais faire autrement".

Alain Lefebvre.

Les 3 spécialistes de la politique suédoise invités à participer à la rencontre et donner leur avis sur le livre d’Alain Lefebvre sont ensuite intervenus tour à tour.

Per Bolander, ancien directeur de l'inspection à la sécurité sociale, ainsi qu’architecte des règles fiscales réformées dans les années 1990, fut le premier à prendre la parole. Il a souligné quelques points de désaccord sur la réforme des chemins de fer ayant abouti à l'augmentation du nombre d'opérateurs privés au détriment d'investissements publics jugés insuffisants. Il a apporté aussi des précisions sur la différence en décentralisation et délégation de pouvoir. La décentralisation en Suède est une tradition. Mais il a reconnu que trop décentraliser, comme avec les écoles au niveau communal, a été un échec.

“Le modèle idéal des agences suédoises, avec une forte autonomie et une transparence qui permettent la juste distance entre administration et politique, serait une révolution en France !”.

Per Bolander.

Laila Abdallah, secrétaire internationale de la confédération SACO a apporté son point de vue d'anthropologue. Elle a fait remarquer que la notion de temps était bien mise en avant dans l'ouvrage. E.Macron semble très pressé d'appliquer des réformes inspirées du modèle Suédois, alors qu'il a fallu 80 ans à ce pays pour développer un modèle basé sur le consensus et la confiance mutuelle entre les partenaires sociaux. Depuis les accords de Saltjöbaden en Suède, la reconnaissance des partenaires sociaux est acquise, ils n'ont pas besoin de provoquer des grèves pour être légitimes à la table des négociations. L'État réglemente peu le marché du travail qui est inspiré par les conventions collectives. Pouvoir et responsabilité sont donc partagés entre l'état et les partenaires sociaux. La pression de l'extrême droite peut cependant expliquer l’empressement du Président français d’après elle.

Elle a aussi fait référence au concept de "Lagom", hérité des Vikings. Elle explique que dans ce concept, chacun a son rôle, insistant sur le pouvoir particulier de la communauté et du triptyque État, famille et individu, l’État offrant à l'individu la liberté de ne pas dépendre de sa famille.

“Dans la culture suédoise, l'égalité ne peut exister qu'à la condition que le pouvoir soit partagé entre le gouvernement et le peuple, or E.Macron veut offrir la sécurité mais sans partager le pouvoir !”.

Laila Abdallah.

Enfin est intervenu Samuel Engblom, Policy director a la confédération TCO. Selon lui la Suède n'est pas un bon exemple pour ce qui est de la flexisécurité, du fait de l’affaiblissement de l’emploi, des avantages sociaux, et globalement du marché du travail ces 20 dernières années. Pour réformer la France et dynamiser son marché de l’emploi tout en préservant les acquis sociaux, il pense qu'il faut donner du pouvoir et un levier aux syndicats pour qu'ils puissent négocier avec les employeurs. En conclusion, il a noté que dans les 73 points proposés par le nouveau gouvernement suédois, la Suède semble aussi très pressée dans l’application de ses réformes, comme la France !

S'en est suivi une série de questions réponses avec l'assemblée, pour conclure la rencontre.

Les lecteurs français comme suédois peuvent apprendre beaucoup de ce livre, car on comprend mieux le modèle de fonctionnement de son propre pays en le comparant à un autre. "A quand un livre Löfven l'allemand ? ou Annie Lööf la néerlandaise ?", s’est amusé Samuel Engblom.

Merci à Françoise Sule (du département Romanska klassiska institution de Stockholms Universitet) d'avoir rendu cette rencontre possible et à l'université de l'avoir hébergée. Félicitations à Eric Trottmann pour l'avoir animée avec brio, et pour avoir lui aussi apporté ses connaissances sur le sujet.

 

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